Côte d’Ivoire : Les communautés d’Elokato et de Mbatto Bouaké en colère contre un acte d’expropriation foncière au profit d’une société privée

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Abidjan le 27 avril 2025 – Une colère sourde gronde dans les villages d’Elokato, Elokaté et Mbatto Bouaké, dans la sous-préfecture de Bingerville. Réunis ce samedi 26 avril 2025, les chefs traditionnels et les communautés locales ont publiquement dénoncé ce qu’ils qualifient de «expropriation injustifiée » de leurs terres ancestrales au profit d’une société privée récemment créée; la SCI Palmafrique Immobilier. L’affaire, documentée dans une déclaration conjointe adressée à l’opinion nationale et internationale, soulève de graves questions sur la transparence des décisions administratives et le respect des droits fonciers coutumiers en Côte d’Ivoire.

Selon les représentants des villages, près de 80 % de leurs terres — soit environ 19 millions de m² sur un total de 23 millions — ont été affectées à la SCI Palmafrique Immobilier par le Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, à travers plusieurs courriers officiels datés de septembre et octobre 2023. Ces actes ont été pris sans consultation des populations concernées, en violation flagrante des procédures légales d’expropriation et du respect du droit coutumier, affirment les autorités villageoises.

L’histoire de ces terres remonte à 1928, selon les populations villageoises des villages concernés, quand la Société des Plantations de l’Afrique de l’Ouest (SPAO), sous l’administration coloniale française, avait réquisitionné ses parcelles pour des projets agricoles. À l’indépendance, l’État ivoirien avait poursuivi l’exploitation via la SODEPALM et PALMINDUSTRIE, sans jamais purger les droits coutumiers ni indemniser les communautés.

En 1996, sous la présidence d’Henri Konan Bédié, un engagement officiel avait été pris pour rétrocession des terres aux autochtones, afin de leur permettre de relancer des activités agricoles privées. Mais cet engagement, bien que confirmé par courrier présidentiel, serait resté lettre morte.

« Après plus de 80 ans d’exploitation sans compensation, voir aujourd’hui nos terres attribuées à une société privée créée en 2023, avec la complicité de certaines autorités, est un camouflet que nous ne saurions accepter », a fustigé Nogbou Obichie Fabien, porte-parole du Comité des trois villages, bénéficiant du soutien des populations.

Pour lui, la société Palmafrique, héritière des anciennes plantations étatiques, a été privatisée en 1996 en concluant avec l’État ivoirien un bail emphytéotique de 99 ans pour exploiter les terres jusqu’en 2095. Toutefois, la forte urbanisation du district d’Abidjan a conduit l’État à envisager une relocalisation des activités industrielles de Palmafrique vers Grand-Lahou.

Et c’est dans ce contexte que, par arrêté du 20 mars 2023, le ministère a modifié l’affectation des terres d’Eloka, les déclassant de leur usage agricole initial. Selon les chefs de ces villages, alors qu’une procédure d’immatriculation des terres par les communautés est en cours, ils découvrent que les autorités ont parallèlement accordé la propriété à la SCI Palmafrique Immobilier, une société « née de nulle part » quelques mois plus tôt.

Pourtant, selon les textes légaux en vigueur, toute expropriation doit se fonder sur un motif d’utilité publique avéré, être précédée d’une consultation des communautés concernées et donner lieu à une indemnisation juste. Ici, affirment les villageois, aucune de ces conditions n’a été respectée.

Dans leur déclaration du 26 avril, les chefs d’Eloka et de Mbatto Bouaké dénoncent également la mise à l’écart systématique des autorités coutumières dans les décisions administratives, ce qui, à terme, pourrait « gravement menacer la paix sociale » dans cette localité.

« Comment comprendre que des terres dont nous sommes les ayants droit historiques soient attribuées sans que nous soyons informés, ni même consultés ? » s’insurge Anouman Badiglon, chef du village de Mbatto Bouaké.

Les signataires exigent, dès lors, l’annulation immédiate des actes d’affectation, la reconnaissance de leur droit coutumier et la réparation intégrale des préjudices matériels et moraux subis.

Ils en appellent directement au président Alassane Ouattara, aux présidents d’institutions, aux organisations internationales de défense des droits humains, et aux médias, pour porter leur cause sur la place publique.

Ce n’est pas la première fois que le Ministère de la Construction est éclaboussé par des affaires de litiges fonciers. Les communautés rappellent « l’affaire des 100 milliards », encore pendante devant la justice, concernant une autre tentative présumée d’expropriation de 540 hectares de leurs terres.

Ce nouveau bras de fer pose la question du respect des droits coutumiers dans le processus d’urbanisation accélérée du Grand Abidjan. Un enjeu brûlant dans un pays où 80 % des terres rurales demeurent non immatriculées et vulnérables à des manipulations foncières.

Face à cette situation, les communautés d’Eloka et de Mbatto Bouaké promettent de poursuivre leur mobilisation : « Nous défendrons notre héritage, notre dignité et l’avenir de nos enfants », affirment-elles, résolument conclu

JEN

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