Côte d’Ivoire/Café-Cacao : pillage organisé, milliards volatilisés, producteurs sacrifiés

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Abidjan le 6 juillet 2025Une enquête explosive sur la machine opaque du Conseil Café-Cacao, qui saigne les planteurs à blanc

Ils sèment, ils récoltent… mais on leur vole les fruits. Derrière l’image dorée de la première puissance cacaoyère du monde, une vérité beaucoup plus amère se cache : des milliards de francs CFA prennent, en toute discrétion, des destinations inconnues, une gouvernance verrouillée, des producteurs floués et des complicités en col blanc.

De fait, le Conseil Café-Cacao (CCC), censé être le garant d’une gestion équitable des ressources de la filière, est aujourd’hui dans l’œil du cyclone. En face : la Coordination Nationale du Monde Agricole de Côte d’Ivoire (CNMA-CI), emmenée par un certain Bilé Bilé, vieux briscard de la contestation paysanne. En ligne de mire : un système mafieux qui pompe sans vergogne l’argent des paysans sous couvert de programmes d’appui agricole.

Comment on pompe l’argent des planteurs… légalement

Tout commence avec des ponctions « réglementaires » faites sur chaque kilo de fèves produit. L’argent ainsi collecté devrait revenir aux producteurs à travers des appuis en intrants, des sacs de jute, ou des projets de modernisation ou d’entretien des vergers. Mais dans les faits, des milliards s’évaporent dans un brouillard de procédures opaques.

Le cas le plus criant : les 4 milliards de FCFA débloqués par l’État pour créer l’interprofession Café-Cacao. Objectif : recenser les producteurs et mettre en place une représentation équitable. Mission confiée au cabinet JADEX. Problème : les données officielles de la Chambre d’Agriculture sont alors inaccessibles. Résultat ? Un recensement bricolé, truffé d’absences volontaires, avec des coopératives bidons placées là pour servir d’interface à des malversations.

Coopératives fictives et circuits frauduleux : la stratégie du siphon

C’est un véritable schéma de fraude savamment orchestré. Des coopératives fictives, dont les noms reviennent systématiquement dans les documents du CCC, sont utilisées comme écrans pour faire sortir de l’argent et des produits. D’après les révélations du RJECI, des milliers d’hectares de dotations en produits phytosanitaires sont attribués à des entités fantômes.

Au cœur du montage, deux hommes : Jérémie Kouassi Kan, Directeur chargé de l’Appui Agricole au CCC, et Kambou Sié, décrit comme un « distributeur fantôme » de plus de 50.000 hectares de produits phytosanitaires, qu’il revendrait sous le manteau. Derrière ces figures de paille : le nom d’Yves Koné Brahima, le tout-puissant DG du CCC, revient avec insistance. Ce dernier aurait mis en place un système de redistribution parallèle, sous couvert de légalité.

Bilé Bilé : le caillou dans la chaussure du CCC

Mais dans ce théâtre bien huilé, un acteur vient tout perturber : Bilé Bilé, président de la CNMA-CI. Habitué des dénonciations coup de poing – il est déjà à l’origine de la chute du système dans les années 2008 – il revient en force, assignant le CCC devant la justice pour exiger un audit complet.

Et le coup porte. Le juge des référés, le 28 mars 2025, rejette toutes les manœuvres dilatoires du CCC : exception d’incompétence, fin de non-recevoir… balayées. La justice reconnaît à la CNMA-CI le droit d’interroger une entité publique sur l’utilisation de fonds collectés auprès des producteurs. Même si l’audit est refusé à ce stade, le juge ouvre la voie à une procédure de fond, bien plus incisive.

Résultat : la première audience au fond, tenue le 3 juillet, a déjà permis d’exiger que le CCC rende des comptes sur l’utilisation des 4 milliards et sur la gestion des produits phytosanitaires. Nouveau rendez-vous explosif fixé au 17 juillet 2025.

Intimidation, silence et contre-feux judiciaires

Acculé, le CCC change de stratégie : moins de tribunaux, plus de menaces. Le 29 avril, Bilé Bilé est convoqué… non pas devant une juridiction civile, mais par la police criminelle, pour « diffamation ». Une intimidation à peine voilée, interprétée comme une diversion destinée à détourner l’attention des scandales en cours.

Mais loin de reculer, Bilé Bilé contre-attaque : il annonce une nouvelle plainte sur les 17 milliards du Fonds Covid, introuvables dans les comptes. Pendant ce temps, Yves Koné joue la montre, multiplie les renvois d’audience, mais reste incapable de justifier sa gestion.

Et quand des journalistes et ONG demandent les documents sur la distribution des phytosanitaires, le CCC leur tend un énorme classeur illisible, sans légende ni explication. On leur interdit de faire des copies. Silence total depuis. La transparence, visiblement, n’est pas dans l’ADN du DG.

Un système en place depuis 20 ans… mais en train de vaciller

Ce n’est pas la première fois que la filière est secouée. Déjà, entre 2000 et 2010, des dizaines de cadres avaient été arrêtés pour malversations. L’État avait réformé le système, mis en place des structures de régulation, tenté d’installer des garde-fous.

Mais voilà : en 2011, le Conseil Café-Cacao devient l’organe unique de gestion de la filière. Ses missions ? Promouvoir la transparence, augmenter les revenus des planteurs, soutenir la transformation locale. Or, depuis l’arrivée d’Yves Koné, c’est tout l’inverse qui se produit. Les fonds s’échappent, les producteurs crient famine, et la gouvernance se referme sur elle-même.

La filière au bord de l’explosion

Aujourd’hui, le CCC ressemble de plus en plus à une citadelle assiégée, défendue par une communication faussement triomphaliste, mais creusée par des affaires de détournements, de favoritisme et de mépris affiché pour les producteurs.

En face, la CNMA-CI engrange les soutiens. Juridiques, populaires, médiatiques. La justice ne s’est pas laissée berner. Elle a rejeté les tactiques de diversion, rappelé que les planteurs ont des droits, et que l’argent du cacao ne doit pas être géré comme une caisse noire.

17 juillet 2025 : la vérité s’approche à grands pas

La prochaine audience promet d’être décisive. Elle pourrait forcer le CCC à ouvrir ses livres de comptes, à révéler qui sont les vrais bénéficiaires des milliards de subventions. Et surtout, à répondre à cette question lancinante : où va l’argent du cacao ?

Dans un pays où le cacao représente 40% des recettes d’exportation, cette affaire n’est pas une simple querelle institutionnelle. C’est une bataille pour la survie d’un million de familles paysannes.

Et cette fois, la vérité pourrait bien trouver enfin le chemin du champ.

Un rédaction du RJECI